mercredi 9 mars 2016

Asylym (5)

Après l'ouverture en dessin de Nicolas Fructus, le premier épisode, ici , le deuxième , le troisième de ce côté, voici le 4ème épisode d'Asylum, cadavre exquis réunissant 7 auteurs et un illustrateur autour d'une histoire... étrange. 

Je tousse.
Mes poumons ne veulent pas de cette brûlante poussière. Ma gorge s’irrite. Mes muscles se crispent. Mon doigt entaillé saigne de nouveau.
— Ta main !
Instinctivement, je la mets devant ma bouche. Je me redresse. Dos bien droit. J’ai mal mais Dame Bienséance est dans le coin, quelque part. Elle est dissimulée sous un coussin ou derrière l’un de ces lourds rideaux. Faire bonne figure. Une aigreur me remonte dans le gosier. Les cachets me font ça, parfois. Une fois avalés, une unité de lanciers aux bottes crottées me descend le long de la trachée, et remonte tout à coup en courant. Vite, mon mouchoir !
Il m’échappe.
Soubresaut de la cage thoracique. Un filet de bave rose et bleu. La honte perle sur mon menton. Mon index en profite pour goutter sur le sol ! Dame Bienséance va me punir. Combien de fois m’a-t-elle rappelé sa valeur ? Il est importé d’Inde ! Je tends le bras. Le mouvement est gauche. Pathétique. Cette fois, j’ai souillé la pièce. Cela va être terrible. Soudain, je réalise que le ronronnement que faisait le livre n’est plus. Une ombre. Fugitive. Rapide. Une gueule béante, mauve et alignant un nombre de crocs infini. Coup de langue.
Clac !
Silence.
Ma poitrine s’agite encore quelques secondes. Mon souffle s’apaise. Mon infâme fluide vital a disparu. Plus une tache. Le manuscrit l’a lapé et s’est refermé. Petit à petit, la couverture reprend sa teinte de cuir aux reflets violets. J’essuie une larme du revers de ma manche rêche. Par terre, le livre se trémousse. Un coin, puis l’autre. À l’instar de ce pirate à la jambe de bois qui avait tant de difficulté à mettre un pied devant l’autre, il me grimpe dessus. Dans l’histoire, le capitaine souriait, mais finalement, il était mauvais. Quelle est la véritable nature de cet étrange recueil ?
Vertige passager.
Un souffle glacé et les pages se mettent à tourner. Textes et images s’agitent. Je m’aperçois dans un cadre. J’y suis jeune et petite. Un sourire éclaire mon visage. Je danse. Je valse. Voilà cette gravure me montrant debout, racontant une histoire de clé ensanglantée à mes camarades. Quand était-ce déjà ? Il y a quelque mois ? Pas le temps de me poser la question. Une autre illustration me représente, malade, dans cette bibliothèque. Passé, présent, futur : Que se passe-t-il ? Ont-ils augmenté la dose de pilules ?
Je me sens tout à coup merveilleusement bien. Légère. Je survole tout. L’illustré est en train de se refermé. Ultime peinture : moi, accroupie face à une minuscule porte dissimulée au pied de la bibliothèque.
— Alice !
L’un de mes camarades vient de se réveiller.

                                                                                Fabien Fernandez



Fabien Fernandez est auteur et illustrateur (Voyage polaire, Ce Que tu cherches tu trouveras). Passionné par le jeu de rôles, il a publié plusieurs ouvrages, seul ou en collaboration aux éditions Les 12 Singes et Matagot. Pour les adolescents, il a récemment publié Coeur sauvage, un récit initiatique aux confins de la Russie et L'Enfant mitrailleuse, texte court et percutant sur les enfants soldats. 
Fabien Fernandez coordonne depuis plusieurs années la fresque des Imaginales.



La suite : dimanche 20 mars!