Après l'ouverture en dessin
de Nicolas Fructus, le premier épisode, ici et le deuxième là, voici l'épisode3 d'Asylum, cadavre exquis
réunissant 7 auteurs et un illustrateur autour d'une histoire... étrange.
En touchant le coin métallique de la couverture, pour obéir
à cet étrange ouvrage, je me coupe, une petite blessure franche, nette, très
douloureuse ; les médicaments n'émoussent pas totalement les sensations et
le sang qui perle n'a pas la couleur chimique de mes pilules. Écarlate, la goutte tombe
sur la première page, s'étale, est absorbée immédiatement. En quelques
secondes, il n'en reste plus rien, comme si cela n'avait été qu'un fantasme de
plus : serais-je encore en train de rêver ? Pourtant, le frisson du
livre contredit cette hypothèse, il réagit, il frémit, il laisse échapper un
ronronnement. J'ai la désagréable impression qu'il se délecte. Un coup d'œil à
mes camarades confirme qu'aucun d'entre eux n'émet le moindre bruit ; tout
comme l'injonction que je viens d'entendre, le ronronnement est bien celui de
l'objet que je tiens entre mes mains. Cela décuple ma curiosité. Peut-être
est-ce cela qui me tient enfermée ici ? Cette curiosité malsaine pour les
situations étranges ? Qu'importe, personne ne me regarde, personne ne me
parle non plus et la lecture reste mon seul espace de liberté.
A l'intérieur de l'ouvrage, les lettres dansantes ne se
laissent toujours pas reconnaître, elles me narguent : ne peux-tu pas nous
lire, Alice ? As-tu oublié l'alphabet ? Je tourne la page du titre,
d'autres illustrations me donneront peut-être des indices sur ce que cache ce
livre autoritaire et gourmand ? Stupeur. L'illustration de la seconde page
me tétanise. Devant la bibliothèque, une petite fille blonde tient un vieil
ouvrage aux lettres dorées et une goutte de sang tombe sur la première page. Le
livre me représente, telle que je suis dans l'instant.
Dans un premier temps, j'ai l'impression que l'image est
figée. Pourtant, lorsque je la caresse, je m'aperçois qu'elle est vivante, elle
palpite, comme animée d'un véritable petit cœur. Se peut-il que la prochaine
illustration me montre ce que je n'ai pas encore vécu ? Peut-être que je
vais m'y voir libre, échappée de cet asile morne et sombre ? Je voudrais
feuilleter le livre mais il ne se laisse pas faire, ses pages refusent de se
laisser attraper, mes doigts glissent sur la tranche dorée sans que je puisse
en saisir une. Je porte le doigt à ma bouche pour l'humidifier et enfin tourner
cette page ; mon doigt a un goût de poussière, d'encre et... de sang.
Silène Edgar
Silène Edgar a écrit plusieurs romans pour adultes et adolescents, seule ou en collaboration avec Paul Béorn (14/14, prix Gulli 2015). Récit d'anticipation, Fortune Cookies, qui se déroule dans une France où les libertés individuelles sont foulées aux pieds, a des résonances terriblement actuelles. Adèle et les noces de la reine Margot fait partie de la sélection du PIC 2016.