lundi 29 février 2016

Asylum (4)



 Après l'ouverture en dessin de Nicolas Fructus, le premier épisode, ici et le deuxième , voici l'épisode3 d'Asylum, cadavre exquis réunissant 7 auteurs et un illustrateur autour d'une histoire... étrange.


En touchant le coin métallique de la couverture, pour obéir à cet étrange ouvrage, je me coupe, une petite blessure franche, nette, très douloureuse ; les médicaments n'émoussent pas totalement les sensations et le sang qui perle n'a pas la couleur chimique de mes pilules. Écarlate, la goutte tombe sur la première page, s'étale, est absorbée immédiatement. En quelques secondes, il n'en reste plus rien, comme si cela n'avait été qu'un fantasme de plus : serais-je encore en train de rêver ? Pourtant, le frisson du livre contredit cette hypothèse, il réagit, il frémit, il laisse échapper un ronronnement. J'ai la désagréable impression qu'il se délecte. Un coup d'œil à mes camarades confirme qu'aucun d'entre eux n'émet le moindre bruit ; tout comme l'injonction que je viens d'entendre, le ronronnement est bien celui de l'objet que je tiens entre mes mains. Cela décuple ma curiosité. Peut-être est-ce cela qui me tient enfermée ici ? Cette curiosité malsaine pour les situations étranges ? Qu'importe, personne ne me regarde, personne ne me parle non plus et la lecture reste mon seul espace de liberté.

A l'intérieur de l'ouvrage, les lettres dansantes ne se laissent toujours pas reconnaître, elles me narguent : ne peux-tu pas nous lire, Alice ? As-tu oublié l'alphabet ? Je tourne la page du titre, d'autres illustrations me donneront peut-être des indices sur ce que cache ce livre autoritaire et gourmand ? Stupeur. L'illustration de la seconde page me tétanise. Devant la bibliothèque, une petite fille blonde tient un vieil ouvrage aux lettres dorées et une goutte de sang tombe sur la première page. Le livre me représente, telle que je suis dans l'instant.

Dans un premier temps, j'ai l'impression que l'image est figée. Pourtant, lorsque je la caresse, je m'aperçois qu'elle est vivante, elle palpite, comme animée d'un véritable petit cœur. Se peut-il que la prochaine illustration me montre ce que je n'ai pas encore vécu ? Peut-être que je vais m'y voir libre, échappée de cet asile morne et sombre ? Je voudrais feuilleter le livre mais il ne se laisse pas faire, ses pages refusent de se laisser attraper, mes doigts glissent sur la tranche dorée sans que je puisse en saisir une. Je porte le doigt à ma bouche pour l'humidifier et enfin tourner cette page ; mon doigt a un goût de poussière, d'encre et... de sang.

Silène Edgar

Silène Edgar a écrit plusieurs romans pour adultes et adolescents, seule ou en collaboration avec Paul Béorn (14/14, prix Gulli 2015). Récit d'anticipation, Fortune Cookies, qui se déroule dans une France où les libertés individuelles sont foulées aux pieds, a des résonances terriblement actuelles. Adèle et les noces de la reine Margot fait partie de la sélection du PIC 2016.